Serge Granjon : Saint-Etienne sous le second empire – Casino lyrique 6



CONCERTS DE BIENFAISANCE

Le dimanche 11 mai 1856 inscrivit, fastueuse, l’ouverture du Casino au public. Rien, dit-on, en ce jour enthousiaste, ne pouvait rivaliser avec la richesse de son ornementation. Mais voilà qu’un déluge d’applaudissements ne couvrit pas le fracas qu’un tout autre entraînait.

Pourtant certaines journées qui suivirent se voulurent souriantes. Ainsi deux ouvriers passementiers, qu’éberluait la façade, passèrent en revue les détails. L’aîné s’avisa même de décrypter les lettres sculptées. Perplexe, il demanda à son confrère :  » Que diable ça veut dire Casino ?  » L’autre le rassura, aussi en patois :  » On a appelé ce café comme ça parce qu’il fait quasi no ( quasi nuit ) quand on y va ! « 

Ce brin de diversion ne put jeter l’oubli sur les pluies diluviennes qui frappaient alors sévèrement la région. Début mai, déjà, les eaux grossies de la Loire avaient causé indirectement la mort de huit habitants de Chambles qui se rendaient au marché à Saint-Etienne. Le câble du bac de Chamousset lourdement chargé, près de Saint-Victor, s’était rompu sous la poussée du courant.

Crue Lyon 31 mai 1856

On craignait pour les puits de mine du bassin Stéphanois. Heureusement peu furent, sans excès, inondés. Ainsi que les gares de Saint-Etienne, d’Andrézieux et de Rive-de-Gier. la voie de chemin de fer fut malgré tout endommagée entre Givors et Oullins. Mais le pire resta la crue de la Saône et du Rhône . Lyon déplora la chute de près de trois cents maisons, jetant à la rue des familles entières. S’ouvrit une souscription nationale, puis une collecte de vêtements. A Saint-Etienne, elle eut lieu rue des jardins, à quelques pas du Casino. le cercle musical de la ville donna un grand concert en faveur des inondés, qui recueillit curieusement une médiocre recette.

UN SPECTACLE IMPREVU

Le lendemain, un fils de Denis Epitalon, ce futur bienfaiteur des Petites Soeurs des Pauvres, obtint un bien meilleur succès. Le mardi 10 juin 1856 au soir, le jeune négociant en rubans rassembla une foule nombreuse qui comptait, avec l’élite de la société stéphanoise, une floraison de dames élégantes. Beaucoup de curieux ne purent entrer, la rue resta emcombrée.

La nature avait négligé de doter l’artiste improvisé d’un bel organe et il ne s’adonnait guère au chant. N’empêche qu’il avait parié d’interpréter un air sur la scène du Casino. Défi relevé par quelques amis, qui montèrent l’enjeu, destiné aux sinistrés.

Mr Epitalon se présenta en grande tenue, sous des bravos prolongés qui l’encouragèrent. La voix d’abord émue, puis bientôt rassurée, il chanta, sur l’air du Bijou perdu,  » Lous inoundas de Lyoun  » composé pour la circonstance en dialecte du cru par le populaire chansonnier Babochi. Bissé, il reçut un tourbillon de fleurs lancées des galeries.

Puisqu’on ne pouvait le confondre avec une prima dona de réputation européenne, le Casino offrait à son élan généreux le meilleur des abris.

Laisser un commentaire