Nicolas Gouzy -Léthé ou Eunoé ?

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Je m’en souviens, bien mais pas assez. Vu de mon côté des choses, au travers souvent du petit bout de ma lorgnette, j’entraperçois les étoiles qui brillent encore dans mon ciel d’hiver mais ce n’est qu’une infime portion de la Voie Lactée. Lorsque d’autres racontent les mêmes événements, ceux que nous avons vécus ensemble autrefois, je m’étonne et quelquefois m’inquiète de ce que nos souvenirs diffèrent autant. On en viendrait assez vite à faire s’entrechoquer nos mémoires jusqu’à les briser l’une contre l’autre alors qu’elles devraient se compléter. Et puis on ne réunit pas un puzzle de soi en en jetant les pièces à la figure des autres. Pourquoi voudrais-je que tes souvenirs ressemblent parfaitement aux miens ? Est-ce que je crains d’être si dilué dans le temps, de n’avoir marqué que de manière si lointaine et si imprécise les miens, mes proches, ma famille, mes amis ? Ou bien plutôt d’avoir marqué au fer rouge ou à l’encre indélébile (c’est moins douloureux) les mêmes ? J’avais des souvenirs heureux, certains et fiers de moi (comme souvent), voilà qu’ils se fissurent et laissent apparaître des vanités, des violences quelquefois. J’avais des souvenirs tristes, surs ou suris, gris-souris, aigris de la vie, voici qu’ils s’adoucissent et laissent entrer le doux et le sucré de cette autre mémoire : la tienne, la leur. J’ai écrit il y a bien longtemps une « Histoire de l’Oubli » pour exorciser mes craintes qu’à force de souvenirs différents, voire d’oublis de ce qui me paraissait encore si important la veille, mes contours se brouillent un peu dans la mémoire de mes amis. Alors que j’aimerais tant qu’ils y demeurent permanents, vifs, acérés et brillants. J’ai souvent l’impression de crier à l’aide depuis le puits d’une oubliette creusée dans la forteresse des autres. Quelqu’un a t’il la clef ?

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