Un réveil parmi d’autres (micronouvelle) – Ludovic Richard


-Il pleuvait pas hier soir tu sais.
-Ah bon ?
-Oui.
-Et donc ?
-On est sorti. Tu te souviens pas ?
-Vaguement…
-Faut dire que t’as pas fait semblant. On n’était pas sorti depuis longtemps. Il pleut presque tout le temps. Puis t’avais envie d’écrire je crois.
-Peut-être. Ce qui est sûr, c’est que j’ai un mal de crâne intergalactique. Du coup ?
-Quoi ?
-J’ai écrit ?
-Pas vraiment, non.
-Tu sais pourquoi ?
-Oui.
-Bah vas-y !
-Où ça ?
-Oh putain, j’ai failli oublier à quel point t’étais con. Puis qu’est-ce-que tu fous là d’ailleurs ?
-Il pleuvait pas hier soir.
-Bon alors ?
-Alors quoi ?
-Pourquoi j’ai rien écrit ?
-Tu aimes trop les femmes…
-Ah…
-Oui. On est entré dans le bar, tu as commandé, on s’ est assis, t’as sorti ton bic et ton cahier… et, tu as scruté tous les visages alentours.
-Comme toujours.
-C’est vrai. Mais il ne pleuvait pas hier soir… et y’avait cette fille. Une rousse aux yeux verts. C’était couru d’avance… elle t’a fasciné.
-C’est plutôt propice à la création ça. Non ?
-D’ordinaire, oui.
-Mais ?
-Mais il ne pleuvait pas hier soir…
-Arrête avec ça, je vois pas c’que ça change.
-Tout. Toi.
-Ça ne me dit pas pourquoi je n’ai pas pondu la moindre ligne. Pas même quelques notes ? Il est où mon cahier ?
-Seulement quelques notes.
-Raconte bordel !
-Tu n’as pu t’empêcher de faire autre chose que la regarder… et boire des coups. T’as griffoné quelques mots sur son immense beauté entre deux shots de rhum…
-Pourquoi j’ai arrêté ?
-Tu as du l’intriguer. Elle est venue te parler.
-J’aime bien la tournure.
-Ouais… mais t’emballes pas.
-Mince…
-Desolé, je veux pas que t’aies espoir…
-Elle est venue… et ?
-Vous avez discuté…
-Cool…
-Et picoler… Toi plus qu’elle. Attention, t’étais bien hein. Sensé, pertinent, drôle, clair dans tes propos. Bref, t’étais fort avec les phrases comme tu sais parfois le faire. T’étais inspiré.
-Jusqu’ici tout va bien.
-Oui. Mais elle t’a demandé ton âge.
-Je vois pas ce qui coince…
-T’as répondu « vingt centimètres »…
-Ah quand même…
-Oui, le rhum était bon.
-T’es con.
-De toutes façons, tu n’écris plus.
-Je sais.
-C’est dommage.
-Faut voir. Puis tu veux que j’écrive quoi ? Y’a plus grand-chose à dire. J’ai plus grand-chose à dire.
-Je sais pas moi. Des voeux par exemple. T’aimais ça écrire tes voeux chelous à chaque début de nouvelle année.
-C’est que je ne dois plus rien avoir à souhaiter. Regarde autour de toi.
-On est à la maison.
-Non mais plus loin que ça !
-Par la fenêtre ?
-Merde !
-Pourquoi tu n’écris plus ?
-J’crois que j’voulais sauver le monde.
-Alors ?
-J’ai du changer d’avis. Vois juste la France. C’est toujours la même bande de fils de putes qu’elle s’ évertue à hisser au pouvoir en allant voter. Tu parles de gouvernants. En pas trois ans, il se sont mis à dos : les cheminots, les profs, les médecins, les flics, les avocats, les bouchers-charcutiers, les étudiants, les chômeurs, les retraités, les maçons, les coiffeurs… même leurs électeurs. En gros, les seuls qui soutiennent encore le gouvernement, c’est le gouvernement. Ça tourne à l’envers… alors, j’en n’ai plus rien à foutre. Ce monde ? Mais qu’il prenne la foudre ! On peut même plus se soigner, c’est dire…
-Tu crois ?
-Ouais. Il paraît que Christophe Colomb a découvert l’Amérique… Mais ce que je crois, c’est qu’en cas de cancer, pour se payer un nouveau colon, c’est l’Amérique qui mettra Christophe à découvert.
-T’es en colère ?
-Tu m’étonnes ! C’est quoi ce système de merde ? On paye pas nos profs, on forme pas nos profs. On laisse nos étudiants, notre futur !… dans la misère. J’en connais qui ne bouffent qu’un jour sur deux pour survivre !… j’en connais qui se prostituent ! Mais ça continue à élire des énculés qui donnent au pays les moyens financiers de foutre, grâce à un drone, un suppo explosif dans le fion d’un quidam qui levrette à Buenos-Aires sans bouger de son bureau à Paris… oui, j’suis en colère. J’ai plus rien à souhaiter.
-Zut !
-Quoi ?
-Il pleut…

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