Pascal Depresle – C’est ici que la brume rapièce

C’est ici que la brume rapièce sans se hâter les bruits des souvenirs comme les cris des vivants. Il n’y a pas de temps qui passe ou qui nous regarde passer, juste des moments de collages, des soudures, aux os meurtris de nos vieilles carcasses qui frappent ceux enfouis que nous avons pu mettre en terre.
Les cerisiers en fleurs, tous comme les pêchers qui naviguaient naguère en chicanes pour poules errantes ne regardent plus passer les volatiles.
A peine sentent-ils ceux, qui de passage, viennent poser ramage aux extrémités frêles qui les font danser de leurs branches les plus fines.
Demain il fera sec et manque de pluie.
Je me hâte de relever le drap sur mon cerveau, il fait déjà si froid au fond de moi que même la bûche du matin n’a pas suffi à me réchauffer.
Sans aucun doute je passe moi aussi.
Sans laisser de traces de pas, personne pour les suivre, alors à quoi bon enfoncer un peu plus le talon sur cette herbe qui ne marque que le temps de sa blessure ?
J’avais mis les miens dans ceux de mon père mais ils se sont tassés trop vite. Maintenant je parcours l’inconnu à la recherche de sons familiers.
Mais ils s’en sont allés, galops comme ces bruits de becs.
Je n’ai plus la trousse magique médicale d’un vieux Pif Gadget ni le poignard de Rahan qui me rendait si fort de savoir que les autres ne l’avaient pas.
Je ne remonte plus les draps sur personne.
Parce qu’il n’y a plus vraiment de matins quand on quitte sa terre pour ne pas revenir ou alors à la hâte, comme en cachette, comme pour demander pardon du bout des lèvres d’être passé par là sans avoir pris le temps de s’asseoir en son centre et de lui caresser le ventre, vieux chat d’herbes d’orties et de ronces qui ronronnerait une dernière fois comme pour dire vas-y, la route est sèche comme mes joues, la route aussi est prête , tu peux t’enfuir désormais vers d’autres contrées, mais promets-moi de ne jamais m’oublier.
Aujourd’hui à Covid 2 de mon existence d’un mois passé, je rêve de fils multicolores qui traverseraient sans douleurs les peaux aimées, les peaux touchées ou désirées, pour mieux les réunir, qui repriseraient les chaussettes trouées des mauvais cordonniers mal chaussés que nous n’avons jamais cessé d’être, pas qu’en amour hélas mais simplement en vie, qui regarderaient bien à travers la brume un clin d’oeil du soleil pour dire je suis là, profite encore un peu de ce surplus de petit matin qui ressemble tant à la nuit que tu peux rêver encore un moment pour recharger la terre et ceux qui y vivent d’un peu de larmes.
Les gens heureux n’ont pas d’histoire, dit-on. J’en ai mille à te raconter sans que mon regard ne se brouille, ou alors sur quelques petites dizaines qu’on fera semblant de ne pas voir, de ne pas comprendre, qu’on chassera d’un geste de la main comme au retour d’un long songe éveillé ou au bruit d’un moustique importun.
Ou on accusera le vent.
Tu sais, moi je l’ai vu, les cerisiers en fleurs, tous comme les pêchers qui naviguaient naguère en chicanes pour poules errantes ne regardent plus passer les volatiles.
Et puis toutes mes histoires commencent ainsi.
Est-il utile d’aller plus loin tant on en finit par ne plus redouter la fin à force de la voir arriver, brinquebalant de droite à gauche les pieds emmêlés dans la vieille robe de bure ?
Alors oui, je me hâte de relever le drap sur mon cerveau, il fait déjà si froid au fond de moi que même la bûche du matin n’a pas suffi à me réchauffer.
Parce que c’est ici que la brume rapièce sans se hâter les bruits des souvenirs comme les cris des vivants.

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