Nous vivons sans frisson un âge formidable,
Nous pouvons assister, vautrés dans un fauteuil,
Au spectacle d’un monde au vertige insondable
Qui se meurt dans le feu, sans en porter le deuil.
Nous vivons sans frisson la fin d’un trop beau rêve,
Rien ne nous heurte ici dans ces conflits d’ailleurs,
Nos soucis quotidiens nous obligent sans trêve
À cette sécheresse entre faux-monnayeurs.
Nous vivons sans frisson le banal épisode
D’une nuit de néant, d’un carnage honteux,
Parce que ne pas voir un pathétique exode,
Préserve d’agiter des mobiles douteux.
Nous vivons sans frisson l’illusion de vivre,
Pourtant depuis longtemps nous sommes des pantins,
Polichinelles sourds, le cerveau dans le givre,
Séduits jusqu’à plus soif au chant des lamantins.
Nous vivons sans frisson l’avènement du lâche,
Celui qui fuit son ombre, et s’interdit la nuit
Tant son courage est las, celui qui fait relâche
Quand le devoir quémande un remède à l’ennui.
Nous vivons sans frisson la mort de la pensée,
L’esprit a rendu l’âme en perdant le compas,
Et l’humeur en émoi qui s’est crue offensée
Trouve chez Scaramouche un charme à son trépas.
Recueil inédit « Au doux Pays de France »
