Almanach Vermot 1951 : Anecdote historique :  » L’horrible meurtre de Lillebonne  » 1848


Le dimanche 16 avril 1848, dans la matinée, plusieurs habitants de Lillebonne, petite cité normande proche de Bolbec, trouvèrent dans un bois, à peu de distance de leur ville, le cadavre tout sanglant d’un jeune ouvrier vêtu d’une blouse et coiffé d’une casquette.

En examinant le sol alentour, les promeneurs constatèrent que le corps avait été traîné, durant deux cent cinquante mètres, de la route à l’intérieur du bois. Une longue trace de sang marquait le passage du cadavre. L’ouvrier ne s’était donc pas suicidé, il avait été assassiné.

Le corps du malheureux fut porté à l’hospice de Lillebone. Un médecin se hâta d’en faire l’autopsie. Et voici les grandes lignes du rapport qu’il écrivit ensuite :

 » L’assassiné avait le corps couvert de blessures. Le meurtrier s’était servi de deux armes : un pistolet et un instrument pointu, sans doute un poignard. le criminel, placé à gauche et un peu en arrière de sa victime, lui avait d’abord tiré un coup de feu : la balle avait cassé la huitième cote et traversé le poumon. S’armant de son poignard, le meurtrier avait ensuite achevé le malheureux ouvrier. Celui-ci ne portait pas moins de quarante coups de couteau !

D’après la rigidité cadavérique, le médecin conclut que la mort de cet homme remonte à environ douze heures. Le meurtre a eu lieu dans la nuit du 15 au 16 avril, entre onze heures et minuit. « 

Peu après, plusieurs habitants de Lillebone entrèrent dans l’hospice et examinèrent le cadavre. Bientôt, l’un d’eux s’exclama :

-Mais c’est Fouque, cet homme, que Riancourt, notre sous-commissaire spécial, a fait venir de Rouen il y a deux jours !

-Oui, précisa quelqu’un. Il devait le faire entrer dans la police.

Riancourt sera frappé quand il apprendra cette mort. Il parait que Fouque et lui étaient deux amis.

Vers quatre heures de l’après-midi, le sous-commissaire spécial se rendit à l’hospice pour ouvrir son enquête. Riancourt était un grand jeune homme, mince, de 26 ans, au regard volontaire et froid, aux fines moustaches et à la mise fort élégante. Sa joue gauche portait la trace d’un coup de feu reçu quelques mois auparavant, à Paris, lors des  » glorieuses journées de février « , disait-il.

Le sous-commissaire était accompagné du maire de Lillebone et de son adjoint, Monsieur Legrain. D’un air calme et attentif Riancourt examina le corps de son ami ; il recueillit les témoignages relatifs à la découverte du cadavre, puis regagna son bureau. Monsieur Legrain dit au maire :

-Quelle maîtrise de soi a donc ce Riancourt ! Je n’ai pas pu lire le moindre signe d’émotion sur son visage.

-Ni moi non plus, répondit le maire, peut-être ce jeune homme est-il déjà sur une piste…

L’enquête ouverte progressa lentement. La police apprit que Fouque était un pauvre hère sans ressources. Ce n’était donc pas pour le voler que son assassin l’avait poignardé. Restait l’hypothèse d’une vengeance. Mais qui, à Lillebone, aurait pu avoir à se venger de cet ouvrier, inconnu 48 heures plus tôt.

Des jours passèrent, puis un matin, comme un curieux interrogeait Riancourt au sujet du meurtre de Fouque, le sous-commissaire déclara : un crime politique.

Il y avait déjà plus d’une semaine que l’enquête était ouverte, quand, un jour, Riancourt se rendit à Rouen. Il alla rendre visite à l’un de ses amis le professeur Dechaumont. Celui-ci fut frappé de l’apparence du sous-commissaire : ce dernier avait le corps comme affaissé, le regard à demi éteint…Comme Riancourt ne parlait pas du crime de Lillebonne, Dechaumont, surpris, lui dit :

-Et ce pauvre Fouque, qui est tombé, percé de plus de quarante coups de couteau ?

-Oui, répondit le visiteur d’un ton glacial, c’est atroce, ce doit être une vengeance particulière.

L’étrange contenance de Riancourt fit naître aussitôt des soupçons dans l’esprit du professeur. Dès que le sous-commissaire fut parti, Dechaumont alla aussitôt faire part à la justice de ses impressions sur lui….

…De son côté, Riancourt se rendit chez Mme Viel, femme d’âge mûr qui avait connu Fouqué. Lorsqu’elle lui parla de l’ouvrier assassiné, son visiteur  » trembla tellement que ses jambes semblaient danser  » :

-Que voulez-vous, il est enterré, au surplus, ce n’est pas moi qui l’ai assassiné..

Ces paroles rappelèrent soudain à la femme ce que Fouque lui avait dit en partant pour Lillebone, après qu’il eut reçu une lettre du sous-commissaire :

-« Si je meurs, là-bas, avait-il affirmé, ce sera de la main d’un ami, parce que je possède un secret qui pourrait le perdre « .

L’attitude embarrassée de Riancourt acheva de convaincre Mme Viel que ses soupçons étaient justifiés. Elle alla aussitôt trouver la justice et dénonça son visiteur comme l’assassin de Fouque.

Discrètement la police enquêta sue le sous-commissaire Riancourt, puis l’ordre fut donné de l’arrêter. Après avoir entendu l’inculpé et plus de quarante-huit témoins, le juge d’instruction commis à cette affaire put enfin reconstituer le meurtre de Fouque et le passé aventureux de son criminel, vrai roman rocambolesque.

Tout d’abord, Riancourt ne se nommait pas ainsi. Son vrai nom était Martin. Très intelligent, dès sa sortie du collège, il était devenu professeur de mathématiques dans une institution privée de Bourg-la Reine. Mais il n’avait pas eu de chance : atteint de la fièvre typhoïde, son directeur l’avait renvoyé et fait transporter à l’Hôtel-Dieu.

Une fois guéri, Martin s’était trouvé sans ressources. Le besoin, sa faiblesse de caractère et de mauvaises fréquentations l’avaient poussé à voler. Arrêté et emprisonné plusieurs fois, c’était dans la maison de force de Gaillon que le pseudo- Riancourt avait fait connaissance de Fouque.

Brusquement en février 1848, cet aventurier avait cru pouvoir, sous un faux nom, redevenir un homme normal. Blessé par hasard le 24, alors qu’il assistait à un combat entre des insurgés et des soldats défendant le poste du Château-d’eau, il s’était fait passer pour un héros de la Révolution et, sans peine, avait obtenu du Gouvernement provisoire un poste de commissaire de police au Havre.

Par malheur pour Martin, Fouque avait rencontré son ancien camarade de prison. Sans ressources, l’ouvrier rouennais, voyant l’ex-détenu bien vêtu et pourvu d’une place, avait voulu, lui aussi, avoir un emploi. Martin se montrant réticent, des prières, Fouque était passé aux menaces. La suite se devine.

Par une lettre offrant une place d’agent de police, au malheureux témoin de son passé, Martin avait attiré celui-ci à Lillebone. Puis, dans un bois, il l’avait égorgé.

Le procès du pseudo-Riancourt dura toute une semaine et attira beaucoup de monde dans la salle de la cour d’assises de Rouen. Les dames envahirent presque entièrement le prétoire. Le 23 mars 1849, après seulement une demi-heure de délibération, le jury apporta le verdict suivant. Martin était déclaré coupable de meurtre, mais, chose stupéfiante, les jurés avaient écarté la question de la préméditation.

Malgré l’évidence des preuves, l’ex-commissaire s’exclama :

-Mes juges se sont trompés, parce que je ne suis pas coupable !

Puis, cet homme, si sûr de lui, s’effondra comme une loque. Un instant plus tard, la Cour prononça son arrêt : Martin fut condamné aux travaux forcés à perpétuité.

Louis Saurel – Mardi 3 avril 1951

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