Ce matin-là ma mère était volubile, agitée, elle nous fatiguait mon père et moi.
C’était un de ces matins où j’étais très occupée à travailler le petit lopin de terre attribué par mon père, juste sous le saule pleureur, là où rien ne pousse.
J’avais décidé que ce serait mon cimetière, celui où j’enterrerai mes morts à moi et ils commençaient à être nombreux.
Dans ma petite cabane en bois, j’avais déjà rangé mes outils, mes cailloux, mes plumes, les petits os des oiseaux morts, des verroteries, des morceaux de faïence, des bouts de tissus, des boutons, des vieux médicaments, des pages arrachées à mes cahiers et des crayons taillés par mes soins.
J’avais déjà organisé la cérémonie dans ma tête. Elle serait silencieuse et secrète.
Ma mère est venue troubler cet instant unique par ces cris…
– Fulbert, viens vite le lapin à disparu de la glacière du cellier !
Et alors ? C’était mon lapin.
« Dis ma Nine, comment veux-tu l’appeler ? Ce sera ton lapin… »
Mon père est arrivé agacé et a constaté que le lapin mort n’était plus dans son torchon.
Le chien était toujours attaché près de sa niche. La chatte noire dormait.
Le mystère s’epaississait.
Ils arrivèrent tous les deux sous le saule pleureur et virent la magnificence de mon
cimetière personnel.
En un éclair, ma mère a repoussé les pétales de fleurs, écartés les branchages
répandus, cailloux et verroteries.
Elle a détruit mon œuvre.
La terre éventrée a révélé ce que ma mère a nommé « forfait ».
Jeannot, mon lapin dormait tout nu dans son torchon linceul.
Et, horreur sublime, j’avais enterré l’affreuse poupée offerte par Marraine.
– Fulbert… ta fille, notre fille est folle.
Extrait de : Les petits cailloux – Editions de l’Oeil de la Méduse Editrice Danielle Péan Le Roux
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