
C’est le romancier Norbert Jacques qui en 1921 créa le personnage dont le nom est depuis rattaché à l’œuvre de Fritz Lang mais le Docteur Mabuse connut dans les années 1960 une postérité qu’on aurait peut-être tort d’ignorer. Il revint, se fit invisible, et affronta même Scotland Yard.
Le « testament du Docteur Mabuse » est un remake du film de 1933 réalisé par Lang et suit scrupuleusement le même scénario. Mabuse (invariablement interprété par Wolfgang Preis), de son asile, dirige sa bande et on retrouve le Professeur anthropologue fasciné par son objet d’étude, et le couple embarqué dans l’aventure (la femme est plus sexy que l’actrice de 1933 car elle est interprétée par la belle, magnifique, somptueuse, merveilleuse Senta Berger). L’esthétique est celle des « Krimis », polars teutons adaptés des romans d’Edgar Wallace. En Italie, le policier s’appelle « Giallo », en Allemagne « Krimis ».

Le défi qui est proposé au metteur en scène Werner Klinger est de taille : sa version ne doit pas copier plan par plan Lang. Autant dire, mission impossible ! Aussi difficile que de résoudre une énigme de meurtre commis dans une chambre hermétiquement close.
Comment faire mieux que le metteur en scène des metteurs en scène ? Faire exécuter le gros traître dans une cabine téléphonique moderne, menacer le couple non de noyade mais d’écrasement par un ascenseur, et faire un clin d’œil aux miroirs de la Dame de Shanghai. Avouons que Klinger ne s’en tire pas trop mal, son film est comme le prolongement du dernier Mabuse de Lang (« les mille yeux du docteur Mabuse ») et permet de surligner les liens de Fritz avec le serial et l’esprit feuilleton.
L’auteur du « Tigre du Bengale » aussi humble que son maharadjah adopte modestement les codes du feuilleton populaire. Un spectateur lambda ne fera pas la différence entre les « mille yeux » et ce « testament » de 1962.

Le premier d’ailleurs eût pu être signé Harald Reinl ou Alfred Vohrer. D’ailleurs, bien des films de la série « Edgar Wallace » reprennent l’esthétique expressionniste et les motifs Langiens.
Quant aux acteurs qui entourent le titulaire du rôle principal, ce sont toujours les mêmes : Gerd Fröbe, Lex Barker, Peter Van Eyck. Il est bon pour prendre son plaisir de montrer un peu d’irrespect envers la politique des auteurs. Gommons le nom des metteurs en scène et goûtons ces allégories en noir et blanc de la dérive du pouvoir absolu.
Que « M le Maudit » soit supérieur aux « Mabuse » s’entend. Les « Mille yeux » intègre le peloton de tête des Krimis, et Lang en fin de carrière rejoint ses pairs de l’ex-UFA qui ont refait surface grâce à ces polars, avant qu’Herzog, Fassbinder et Wenders n’ouvrent un nouvel âge d’or du cinéma allemand.