Nul, jamais, ne l’avait nommée autrement que « la Marie ». C’était un temps à raccourcis ; un de ceux où les enfants simplettes et abandonnées finissaient filles de ferme, les années de guerre n’arrangeaient rien.
Fluette et sèche, toujours en course au cul de poules ou de canards, elle n’hésitait jamais à participer aux lourds travaux de ferme réservés traditionnellement aux hommes. Disponible et en rires.
Le verre de ses lunettes était tellement épais qu’on le croyait fait de buée, sa voix si haut perchée que les vitres en tremblaient. Elle appelait les bêtes, ou venait pour parler, tout le monde fuyait. Ses dents en or faisaient le reste.
Le maître, Monsieur Poutou, l’avait sans doute, en son temps, culbutée dans la grange, reprise tant de fois qu’on l’aurait dit maîtresse, puis, à son temps de veuvage, l’avait mise en son lit pour conforter sa vie dans l’ordre des campagnes.
Elle m’aimait bien et me donnait des œufs. Je l’appelais Marie, elle s’en étonnait. Elle m’appelait Monsieur Jean et refusa toujours d’en rester au prénom. Jamais son temps ne changerait.
Peut-être bien, sans doute, en était-elle heureuse.
