Je me souviens peu ou pas bien des miens, des anciens, ni des récents. Rien de marquant, un train d’ennui filant en soupirant dans le tunnel d’une fin d’après-midi vers un lundi tout aussi gris ou bien déraillant au beau milieu du calendrier.
Sans doute il y en eût d’ensoleillés, de clairs, de radieux, de ceux qui sonnent au cœur.
Sans doute il y en eût tant d’autres sans autre prétention qu’une promenade au matin, en forêt, chaussés de bottes aux chemins boueux, qu’un repas de Midi un peu plus assis, qu’un film en noir et blanc en fin d’après-midi, qu’un chien couché heureux que sa meute l’entoure, qu’un bouquet.
Sans doute.
Lorsque je rembobine, lorsque je rewinde ou que je randome mes souvenirs dominicaux, j’en recrée deux, oniriques, sensuels et savants : un détestable et un parfait. Des traditions qui, tout à la fois, me passionnent et me pèsent.
Bien entendu, au centre, à midi pile, le repas dominical, familial, le redoutable, le regrettable…Celui dont on s’étonnait qu’il se soit bien passé, finalement. Celui dont on se félicitait que chacun y ait mis de l’eau dans son vin. « Tu vois ? Ça s’est bien passé finalement » dans la voiture, sur le chemin du retour. Mais bon, le plus souvent, un rituel sans oraison, une messe sans communion, une pièce montée endimanchée où les rôles pré-distribués ne laissaient rien à l’improvisation. J’y ai vite appris l’art de la dissimulation, de la simulation.
Mes enfants moins. Ils se sont souvent forcés à s’y taire, à hocher de la tête, à écouter d’une oreille distraite et d’un cœur trop lointain ce que mon père leur assénait de tendresse mal cuite et d’intérêt trop intrusif. Lorsque, petit, nous allions manger chez grand-mère, mes oncles et mes tantes, mes cousines, fabriquaient ensemble l’illusion d’une grande famille, c’était doux, c’était bon, jusqu’à ce que ça pète, ça tempête. L’alcool n’y était que le révélateur d’une photo de famille encore une fois loupée. Il y manquait la chimie de l’amour. Lorsque Mamie venait manger chez-nous, elle apportait son vieux chien avec elle et tout ce que Papa redoutait d’une partie de son enfance et, immanquablement, ça partait en vrille. Jusqu’à craindre le Dimanche implacable, le Dimanche immuable, cette pierre de touche incorruptible sur laquelle tombaient souvent les larmes acides de la semaine, des jours et des ans passés.
