
Enfant j’ai vécu dans l’amour taiseux des gens modestes. Des gens qui s’interdisaient de parler de leurs sentiments, de faire des compliments, de prodiguer la moindre caresse ou le moindre câlin à ceux qu’ils aimaient.
Non pas parce qu’ils n’en n’avaient pas envie, non, mais parce souvent ils avaient reçu cette éducation encore bien plus dure que celle, plutôt bienveillante et permissive, qu’ils nous inculquaient. Chez eux, ceinturon ne rimait pas forcément avec jean ou pantalon, mais avec des coups, des souffrances et des blessures, qu’on légitimait ensuite par le « c’est pour ton bien », en omettant bien souvent de parler de l’alcool qui précédait les corrections.
Aussi parce qu’ils ignoraient les mots, ne les avaient pas appris, étant partis tôt qui faire leur compagnonnage ou leur apprentissage, et ce n’est pas chez leurs maitres qu’ils auraient pu apprendre la tendresse. Et quand bien même cela aurait-il existé, qu’ils auraient eu bien de la peine à la partager, cette tendresse, car ils n’avaient pas le mode d’emploi. Ils pensaient du moins ne pas l’avoir, c’était juste cette pudeur et cette retenue des gens qui sont revenus de loin, parfois de tout, d’un voyage au bout de la nuit, comme l’aurait écrit Céline, qui leur interdisait de laisser parler leur coeur.
Alors, nous, pas dupes pour deux sous, même si l’époque était aux francs, on se contentait d’un sourire, d’un « c’est pas mal » ou du « on fera quelque chose de toi si les petits cochons ne te mangent pas », compliment suprême de gens qui avaient de l’amour plein la gueule, en débordaient du regard, mais n’avaient pas cette familiarité de la tendresse pour l’exprimer davantage.
Ils ne s’imaginaient pas à quel point ils nous chauffaient le coeur, auvergnats ou pas, comme l’aurait chanté tonton Georges, mais oui, ils ne le savaient pas, ou faisaient semblant de ne pas le savoir. Nous non.
Parfois il nous arrivait même d’inventer des peurs ou des larmes, pour pouvoir nous réfugier, nous blottir dans leurs bras gauches et malhabiles, mais qu’on sentaient si demandeurs et rassurants.
Ni manque, ni nostalgie, quoi qu’un peu plus de tendresse …. mais bon, l’amour se manifeste par tellement d’autres choses, tant d’autres choses dont nous recevions les signaux, que nous étions certains d’être choyés du mieux qu’ils le pouvaient, avec l’impression d’avoir tout, nous qui n’avions presque rien, protégés et aimés. Forts, très fort. D’un regard, d’une caresse furtive dans les cheveux, d’un début de compliment usant plus de la litote, mot qu’ils ne connaissaient pas, mais figure de style ô combien usitée, tant était forte leur volonté de ne pas se dévoiler.
Tu vois, papa, toi le taiseux, le bienveillant, ces derniers jours m’ont rappelé combien tu m’aimais, combien tu aurais voulu pour moi le destin fabuleux que tu n’avais pas eu.
Pardonne moi d’avoir tout lâché pour poursuivre mes rêves, tu sais, moi aussi je n’ai pas été très bavard durant le peu d’années ou nous nous sommes croisés, mais sache que je t’aime jusqu’à la fin, et que, ou que tu sois, ce changement te rendra aussi fier de moi que tu aurais pu l’être de ma situation précédente.
Ce sont les actes qui font les hommes forts, les paroles ne pèsent rien dans notre héritage.
A toi papa, si loin et toujours présent depuis plus de quarante ans.
Ton fils, Pascal.
