
Juchée sur un petit tabouret de la cuisine, je regarde maman préparer le repas du soir. Papa n’est pas encore revenu du travail, mes sœurs sont en pension. Ce soir, je suis seule. Maman cuisine des gnocchis et tourne avec application sa cuillère, entraînant avec elle une pâte un peu compacte.
Maman est de profil et j’aime regarder son chignon un peu haut sur le dessus de la tête. Son nez a une bosse, je ne la remarque même plus. Elle a toujours été comme cela. Elle se tourne vers moi en souriant et je me plonge dans ses yeux bleus.
« Tiens, ma chérie, je n’ai pas eu le temps de terminer ma lecture aujourd’hui. J’aimerais bien connaître la fin de l’histoire. Tu n’irais pas chercher mon livre ? »
Je ne pose même pas de questions.
« Tu le trouveras sur le dessus du radiateur dans mon bureau ».
Et je file chercher ce dont maman a besoin, pendant qu’elle sale, poivre sa pâte, allume le four. J’attrape « Le Petit Chose » naturellement et reviens dans la cuisine me hisser sur mon tabouret.
– Je commence où, Maman ?
– Attends, je me lave les mains et je vais te montrer. Voilà. Ici, tu commences le dernier paragraphe. Je t’écoute et je continue ma cuisine. Tu me rends bien service, tu sais.
Et je raconte le feu qui crépite dans a cheminée, trébuchant sur quelques mots que je ne comprends pas très bien. « Ca veut dire quoi : incandescent ? ». Une fois l’explication donnée, je continue ma lecture. Je ne réalise même pas qu’à l’âge de maman, on ne lit plus « Le Petit Chose » !
Demain, maman me demandera d’aller chercher un livre de Chateaubriand. Je ne poserai à nouveau aucune question, car je suis tellement habituée à ce moment entre elle et moi.
Plus tard, quand j’aurai des enfants, je ferai comme maman…
