Marion COUSINEAU, le coup de coeur musical de Pierre Thevenin

NUANCES

  1. Combien de fois et à qui ?
  2. La moitié du billet
  3. Moi qui n’ai pas d’ailes
  4. Lala
  5. Au milieu
  6. Je reviens
  7. La foi en l’homme
  8. Trois mots
  9. Monsieur Langlois
  10. Vas-y doucement
  11. Oh my god
  12. Je pars
  13. Le lac Saint-Sébastien (Anne Sylvestre)

Brassens avait coutume de dire que l’on entre dans une chanson par la musique. J’ajouterais «et aussi par la voix ».

C’est particulièrement vrai avec le timbre de Marion Cousineau, qui s’impose à l’écoute par son grain et ses nuances (d’où le titre de l’album : sur le livret, elle a écrit plusieurs définitions du mot « nuance « , notamment celle-ci :«Degré de sentiment, d’émotion, de finesse que l’on apporte dans la composition ou l’interprétation d’une œuvre artistique »). Elle prend le temps d’envelopper les mots pour nous les offrir délicatement. Pas de rythmes soutenus (sauf dans « Monsieur Langlois »). Les textes dits (il y en a deux qui le sont entièrement : « Au milieu », et « Oh my god », agrémentés d’un soupçon d’accompagnement musical, et deux autres qui ne sont qu’en partie chantés, « Monsieur Langlois » et « Je pars «), confirment ce ressenti. Ces performances d’actrice (j’allais dire « ces récitations »! Tabernacle!) ne viennent pas rompre le rythme de l’album, au contraire : elles y ménagent des respirations bienvenues.

Une fois de plus, la revue « HEXAGONE » (où, comme vous le savez, je cueille habituellement mes pépites) ne s’y est pas trompée.

Pourtant née seulement en 1984, Marion a déjà eu deux vies. Dans un premier temps, elle ne se destinait pas à la chanson, encore que … Informaticienne, puis thésarde en psychoacoustique, elle a franchi le pas de la théorie à la pratique musicale lors d’un long séjour dans la Belle Province, à Montréal, où elle a fini par s’installer. Pas étonnant que l’on trouve des traces d’accent québécois dans « Oh my god ». Dans ce même texte, figurent en outre deux vocables typiques des abords du Saint Laurent : « poche » (nul, minable) et, plus proche de son équivalent français, « la yeule » (la gueule).Quant à mon « tabernacle ! », c’est un juron courant au Québec (où je ne suis jamais allé mais la fréquentation des chanteurs de là-bas a laissé quelques traces ).

L’album est une sorte de carnet de voyage poétique à travers l’existence. On part d’un rêve représenté par « La femme à la fenêtre » de Salvador Dali : bilan de ce que, parvenu plus ou moins au mitan de son parcours, on a déjà accompli. :

« Combien de fois et à qui as-tu dit « Je t’aime » » ?

(« Combien de fois et à qui ?»)

Il s’agit moins de drague et de Carte du Tendre que de la relation aux autres, à tous les autres. L’avant-dernier texte, opportunément intitulé « Je pars », clôt cette quête de sens aussi bien que d’amour (j’écrirai quelques mots à la fin sur les vers de l’immense Anne Sylvestre, une sorte d’appendice écolo et responsable) :

« C’est bien trop grand, ça nous dépasse

Le simple fait d’exister

Et si chacun laisse une trace

Que ce soit celle d’un baiser »

Entre les deux, le cheminement quelque peu chaotique de l’un à l’autre. Les questionnements, les rencontres.

Je n’ai nullement l’intention de passer en revue chaque chanson, vous n’auriez plus besoin d’acheter l’album et Marion serait en droit de m’en vouloir. Je désirerais seulement m’arrêter sur quelques-unes :« Moi qui n’ai pas d’ailes », dit le narrateur ou la narratrice en voyant repartir les oies,

« Je lorgne les voiles

Et la manivelle

Qui tendra la voile,

Dis-moi, capitaine,

Dis-moi, vieux compère,

Qu’arrive-t-il aux peines

Qu’on emmène en mer ».

(« Moi qui n’ai pas d’ailes »)

La mer et la navigation sont très présentes, avec un sens plus ou moins métaphorique. Marion n’a pas vu le jour en Bretagne pour rien.

« Y a un trou, là au milieu

Non c’pas un trou c’est un lieu

Non c’pas un lieu c’est la porte

D’un monde que je transporte

Et qui s’ouvre peu à peu »

(« Au milieu »)

Si chacun pouvait se regarder le nombril avec autant de fantaisie et de perspicacité !

« Monsieur Langlois » est, comme son patronyme ne l’indique pas, une marionnette qui emmène volontiers celui qui le manipule là où il ne serait pas allé de sa propre initiative : « Le show est rodé mais ce p’tit futé adore les digressions ». Il a même poussé le zèle jusqu’à rompre son fil. Ainsi l’artiste n’est-il pas toujours maître du jeu, et c’est tant mieux.

Au gré de son voyage, l’héroïne découvre avec stupeur qu’elle est misogyne : dans « Oh my god ». Un comble ! On peut lire dans »HEXAGONE » que sa mère, originaire de Tunisie, était soumise aux règles en vigueur dans son univers machiste et, pour la protéger, l’avait élevée comme un garçon. D’où ce texte qui, au-delà de ses dehors humoristiques, est lourd dune révolte qui fait mouche.

On ne va pas quitter le pays de Félix Leclerc, de Gilles Vigneault et de tant d’autres, avec les mots et la musique d’Anne Sylvestre. Marion écrit, encore dans le livret, qu’elle a, en 2019, au festival de Barjac, chanté en duo avec son autrice ce « Lac Saint-Sébastien« Vous ne connaissez peut-être pas cette chanson d’Anne Sylvestre. En quelques mots : par un tour d ‘anthropomorphisme classique, c’est le lac qui tient le rôle de narrateur et qui se désole du comportement foncièrement destructeur de ces homos que l’on dit sapiens sapiens (sapiens au carré ? Voire !). Il ne perd pas totalement espoir, puisque, dit-il :

« …près de moi vit une humaine

Je la vois quand elle se promène

Et si parfois elle parle haut

Elle connaît la langue de l’eau ».

Avec cette variante (utopique?) à la fin :

« Et que près de moi cette humaine

Ait traversé l’hiver sans peine

Qu’elle vienne avec les oiseaux

Me parler la langue de l’eau ».

Comment vous procurer cet album dont vous me direz des nouvelles : sur le site cultura (https//www.cultura.com/p-nuancees-3760347741680.html ou sur le site de la FNAC.

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