Un conte d’Hacene-Georges Bouziane auteur, et peintre stéphanois, où impertinence et pertinence sont de mise, tout comme cette belle part de magie et d’orientalité qui donnent à chacun de ses textes un parfum inoubliable…
Une radio crachote ses tristes nouvelles, dans le froid de l’anonymat d’une grande ville, une de ces multiples mégalopoles de la fin de l’Histoire. Pour mieux vous entourlouper l’ouïe, toujours sourde à ceux qui crient dans le désert, voici l’info, le scoop, ou plutôt l’endoctrinement du si grand nombre de cerveaux disponibles et si dociles !
A l’horizon d’un soleil couchant, aucune révolte, généralisée, de la part de la conscience collective, malgré leur injonction sournoise à soumettre la masse, à une espèce d’état de crise et de peur permanente. Leur annonce, en pareille circonstance est évidemment le pseudonyme d’un maléfique leurre, faussement démocratique !
« Ouhouououo… , j’ai peur ! Vite passez-moi mes antidépresseurs, sinon je tue le chien du gardien, à défaut de mourir, suicidé, en martyr, explosée dans le hall d’une succursale de cette putain de banque Dexia. Faites sortir les intérimaires, mes frères, qui rampent à quatre pattes, pour astiquer le brillant du parterre, sous le bruit des bottes cirées de ces petites salopes de traders, suceurs de bites en or d’actionnaires anonymes, pourtant minoritaires en nombre, dans cette sinistre affaire. Je ne voudrais pas voir le sang d’innocents couler, post mortem, sur ma conscience enfin libérée »
La nièce de John, adore la paraphrase cinglante, vous allez en déguster tout votre saoul, bande de sales gosses de riches, si pauvres au dedans ! N’oubliez pas que la haine flirte aisément avec l’amour. A trop vouloir refouler le ressentiment, la mort survient lentement au bout d’une douloureuse et longue maladie. Mourir pour mourir, plutôt garder les yeux grands ouverts de l’insurgé, du révolté, que de gober ces pilules d’amertume et de cligner de l’œil, sur le fictif d’une hallucination morphinique, ordonnancée par ce bon vieux docteur Mengele.
« Il pourrait suffire d’un signe pour que l’insurrection qui vient inonder nos élans de solidarité s’achemine, telle une déferlante, sur la chronique de vos désastres annoncés, pas toujours consentis, par une poignée de réfractaires. Nommez-les donc terroristes, si cela vous rassure le coin du cynisme, ils n’en demeurent pas moins tournés vers ce qui les fait vivre, l’inconciliable liberté de l’Esprit ! Malgré vos perfides contrefaçons, le sens du sacré sourd dans nos latences de rêves éveillés. »
Pendant ce temps-là, les piles du transistor, antique, relique du 20ème siècle, s’usent ! Eh bien non ! Gang de bobos écolos des lavabos, la nièce de John, c’est la reine de la récupe et du bricolage, à pas cher ! Grâce à ses petits doigts de fée, son transistor est devenu auto-énergisant, par les bienfaits naturels du soleil !
– Même en hiver ?
– Bien sûrement, monsieur !
« L’obsolescence programmée, moi je la déconditionne, à grands coups de décroissance active et foule aux pieds le développement durable, cette énième contrefaçon purement matérialiste, pur paradoxe et concept trompeur, inventé par la techno-science mondialiste ! »
Houai ! ? Et cette ligne éditoriale édifiée par les médiatiques suppôts du grand capital, qu’en est-il ? Nous, ce qui nous tient en haleine dans cette histoire, c’est de savoir !
A l’heure de l’info instantanément, rythmée par les savants calculs infinitésimaux, des algorithmes informatiques, nous sommes en droit d’être informés, qui plus est, de ce que la radio distille, aux heures des informations répétitives, diffusées entre deux réclames, pour des assurances vie. Par ces temps de disette générale, sait-on jamais ? Mieux vaut nourrir ces cochons de banquiers, joueurs impénitents du grand casino royal boursier, que de risquer de se faire bouffer par sa propre progéniture ! Nous payons la redevance, nous, madame !
Sur un ton faussement compatissant, la voix numérisée de la journaliste, lâche un pet sous forme de statistiques informatives :
– Dix-neuvième mois de hausse consécutive du nombre de demandeurs d’emploi inscrits à pôle emploi, sur le mois de novembre 2012 … France inter… la voix est libre
La nièce de John sourit amèrement – cela fait belle lurette que « pôle » n’emploie plus ! La voix du speaker radiophonique s’estompe doucement… Cette mauvaise nouvelle la transporte immédiatement dans une parenthèse désenchantée. Elle ne connaît que de beaucoup trop près le parcours en vase clos du précaire, contraint et forcé de vomir et réingurgiter sa culpabilité, sa déchéance sociale. Toute une litanie sociologique, philosophique, politique, voire ethnologique, ne pourrait rendre compte objectivement, de ce que vivre la misère des signes des temps imprime de compromissions mortelles dans l’âme humaine, échouée sur les plages mazoutées du modernisme, néo-libéral. Et pourtant un cœur bat irrémédiablement, en cette poitrine de pauvresse. Son rythme ancestral devrait être enseigné au conservatoire de musique, compte tenu de la subtilité angélique, distillée par ses variantes vibratoires diatoniques.
– Vous l’avez eue, votre information, bien empaquetée, entre deux autres irrésolutions nihilistes à souhait, c’est que ce monde va comme ses décideurs, grands argentiers, qui le planifient, sur la grande bande de modulation de fréquence, suggestive à souhait. Vous voici doublement informés, messieurs dames, à votre bon cœur ! Et en cette période de trêve des confiseurs, n’oubliez pas les restos du palpitant, il semble y avoir foule, chez crève la dalle !
L’homo sapiens, c’est bien connu, ne se nourrit pas seulement de pain. Place à la Culture, sous forme d’éducation populaire, un peu d’air ne serait pas pour nous déplaire ! Le poste radio de la nièce de John, stationné sur la fréquence d’une des chaînes de Radio-France, satisfera aisément à cette nécessité.
Il est quinze heures et cinq minutes, en royaume de France.
Même affamée, La nièce de John ne manquerait pour rien ce rendez-vous des ondes, même sourde, elle serait fidèle à cette émission qui lui tient chaud au cœur !
– Là-bas si j’y suis, tut du répondeur des auditeurs modestes mais géniaux.
Là s’exprime une échappée belle, sous la bannière virevoltante, d’une ribambelle de sages prises de conscience populaires, souvent poétiques. Mots d’esprits, remerciements, que du bonheur. Démocratie oblige, parfois la voix au chapitre du crétinisme ambiant, grésille en haines bêtes et méchantes, sur la bande passante. Des prises de rendez-vous, pour ceux qui en ont entre les oreilles, les cafés repaires s’organisent et « Viva Zapata »
Une multitude de » sans voix » empruntent d’autres voies, que celles toutes tracées des sentiers rebattus du politiquement correct. Ces élans spontanés, humanistes et libertaires permettent une perspective d’espérance, en ces jours sombres, au moins pour les générations sacrifiées à l’aune du règne de la quantité !
La nièce de John, grande amoureuse devant l’Éternel, con-fraternise par son écoute assidue, avec cette compagnie de muets qui prennent la parole, aux restés-sourds devant le cri d’humanité, qui ne cesse d’enfler. Elle ne fait pas la sourde oreille, elle ne se sent plus seule, dans ses propres petites prises de conscience. Elle pose simplement, telle de solides petites pierres précieuses ses actes d’humilité généreuse sur l’édifice de la transformation qui vient et qui n’attend plus que sa Pierre Angulaire, pour couronner le chef-d’œuvre lumineux, d’une humanité libérée, sanctifiée, juste histoire de préséance du Principe de toute vie ici-bas !

» Là-bas si j’y suis… » Le son de la moto vrombissante l’emmène spontanément en un voyage de rêves libertaires…
« Là-bas si j’y suis … Naturellement qu’elle s’y trouve, dans ce camp de Rroms, sous le pont de Clichy.
L’émission de ce jour, traite du sujet des Rroms, devenus parias européens. Là, l’intelligence du propos leur donne voix au chapitre, en matière d’explications, de descriptions de leurs réelles conditions de vie, sans oublier les fondamentaux de toute l’imprégnation d’une culture, nomade, clanique et ancestrale. Au cours de ce reportage humaniste, ils ne sont plus des anonymes, quémandant quelques piécettes ou des petites mains sales grappilleuses, plongées dans nos poubelles débordantes, de nos trop-pleins consuméristes.
« Eh ouais ! Ma brave dame, il faut bien se sustenter la panse et pourquoi ne pas exercer au grand jour nos talents d’adeptes du recyclage. Houai ! On ne salopera pas vos trottoirs, emmerdés de crottes de clebs à sa mémère ! On refermera bien le couvercle de la poubelle, n’ayez crainte ! »
La nièce de John est à bonne école, croyez-nous, ce n’est pas le cas malheureusement pour toute une jeunesse rrom, aux yeux pourtant brillants de rêves devant les grilles des écoles de la République, qui demeurent inexorablement fermées pour la plupart d’entre eux..La diversité de la multiplicité, n’est pourtant que l’assurance de toutes les véritables unicités. La sclérose sédentaire des sociétés occidentales, nihilistes, perd une ultime chance de se guérir, en refusant de se laisser soigner, par toute une sagesse traditionnelle, issue des derniers nomadismes. Eh bien, qu’ils aillent au diable !
Malgré eux, les Tziganes, les Manouches, les Gitans, les Bohémiens, les Romanichels, les Sintis, toute cette diversité du peuple Rrom, (hommes et femmes accomplis et mariés au sein de la communauté des voyageurs, originaires du Sind), sont devenus les boucs émissaires de toute une bien-pensante idéologie, patriotique, régionaliste, cantonale, villageoise et récemment nationaliste. Depuis, voyons voir ? Eh bien, peu de temps après leur migration, vers l’an mille, en cet empire d’occident, pourtant très chrétien. Il y a eu des exceptions, dans ce particularisme de perceptions déformées, de la part de braves gens, mais toujours avec une visée de sédentarisation. Peuple très adaptable, leur soumission au pape, leur sauva souvent la mise. Sacrés voleurs de poules ! Mais par malheur, s’ils sont de confession musulmane, alors là Monsieur c’est la nuit de cristal !
Ce que déplore le plus la nièce de John, elle le pense haut et fort : « Bonne Mère du Bon Secours, même les enfants de Jaurès en viennent à des méthodes peu reluisantes, au regard de l’héritage du dépôt Chrétien, enchâssé en Terre de France, tel un vaisseau secourable et ultime chance pour tout exil de la onzième heure. »

La bête immonde des quotas, régurgite des planifications d’expulsions incessantes, elle est devenue insatiable en bien des domaines ! La nièce de John exècre toutes notions d’une quelconque investiture, abonnée aux mystiques populaires, elle sait d’instinct, que de trop, où cela mène, plus exactement vers les contrefaçons de la meute populiste, qui ne jure, après coup d’État, que par le meurtre généralisé ! Mais quant à se revêtir d’extériorité manifeste, non ! Elle ne troquera pas ses habits rouge cerise, liserés d’or et de turquoise, pour le bleu marine, délavé aux acides nationalistes.
Sous le pont de Clichy et ailleurs en périphérie des villes d’Europe, dans l’intériorité des cabanes de fortune d’un bidon- ville, une situation de précarité humaine et collective témoigne en direct, par son existence sociétale, de chacun des propos du reportage de l’émission radiophonique. La nièce de John opine du chef à chacune de ces vérités sans détour, retransmises dans les interstices de l’émission. Elle qui se trouve immergée dans cette ambiance de misère, malgré tout heureuse, depuis sa descente aux enfers de la précarité. Elle ne peut que témoigner indirectement de la véracité de ces propos radiophoniques. Perte d’identité, d’emploi, ruptures familiales, expulsions à répétition, squats, petits boulots, surendettement, gestes de survie, répréhensibles, toute une chaîne de causes à effets, l’a acheminée ici au cœur du cœur de la pauvreté sacrificielle. Ce ne serait qu’impudeur, si nous nous épanchions en qualité de tristes voyeurs, sur le vécu romanesque de cette héroïne, va-nu-pieds, des temps tristement modernes. Mais les chemins de la destinée parcourus sans retours possibles, aux nostalgies frelatées, demeurent ponctués de multiples croisées des sentiers. A chacune d’elles nous nous retrouvons au centre de l’existence, synthèse des voies d’infinité. Parfois l’Éternité aime à s’y refléter, en Vérité.
Le parcours de la nièce de John témoigne de cet élan de liberté, qui se conjugue si bien avec Connaissance directe et opérative.
– Pour que ceci ne soit point enlevé à mon Etoile, fais pleurer ton violon, mon frère tzigane, les gadjés ne cessent de prendre leur élan, sur nos dos misérables, pour mieux se précipiter dans l’abîme.
L’heure avance, l’émission touche à sa fin, la nièce de John, tout émoustillée de curiosité enfantine, retient la leçon du jour qui s’entrecroise avec l’expérience de son propre vécu. « Là-bas s’y j’y suis… à mon aise et j’y reste pour témoigner » se dit-elle, au fond d’elle-même, tout en notant le numéro du répondeur téléphonique de l’émission.
– Un tel signe des ondes se doit d’être fructifié, par une spontanéité du partage, simple comme un témoignage qui va de Soi, au moi, pour toi, chers auditeurs modestes et géniaux !
Elle osera appeler.
– Juan, prête-moi ton portable, s’il te plaît, j’ai un coup de fil urgent à passer !
Pianotage sur le cadran et sonnerie en attente, décrochage à l’autre bout du fil. Elle se racle la gorge d’émotion, un, deux, trois, la suavité angélique de sa voix articule une simple phrase et une nouvelle croisée des chemins semble se profiler au bout des mots.
– Salut à tous les A.M.G., je viens d’écouter cette émission, modeste et géniale, à propos des conditions de vie des Rroms… Je suis émue, car ceci me touche de près… Heu, pourtant je ne suis pas Rrom de naissance, je le suis devenue par solidarité et surtout par la confirmation d’une reconnaissance mutuelle, qui tisse si bien les liens confraternels… Moi, la pauvre fille échouée sur les bords de la modernité, ils m’ont tout simplement adoptée ! … J’aimerais témoigner… raconter… si ceci peut devenir réalité, soyez-en remerciés par avance… Heu ! Au revoir…. Ah oui j’oubliais… excusez-moi je suis émue… mon numéro le 06.77.77.77.77…merci Heu ! Au revoir… Tut, tut, tut…
Elle n’en revient pas, elle l’a fait, Juan peut lire son émotion, sur le contour rougeoyant de son visage de petite fille, éperdue en un dépassement du petit moi, qu’elle a grand mal à dissimuler. Simple sentiment d’universalité, en retour d’une initiative courageuse. Elle, la nièce de John, vient de se laisser porter par une envie saine et directe, sans détour, juste comme ça, pour témoigner de son humanité. Elle ne doute pas le moins du monde d’une réponse, puisque son état d’âme transpire une certaine forme de conspiration, pas des moindres puisque conceptualisée au ciel ; Qui s’est ouvert depuis qu’elle vit pleinement en « Romanie ».
Le camp bruisse d’une rumeur, la veille Maria vient la visiter dans sa cabane chichement meublée, mais extraordinairement décorée. Elle vient lui offrir sa bénédiction, elle la Madre du camp ! La nièce de John n’en revient pas, « Comment cette sainte illettrée a bien pu deviner, mes intentions de témoigner pour l’ensemble du clan ? » Pourtant elle connaît intimement la réponse, face à son propre étonnement. Même les enfants, si turbulents d’habitude, sont pleins de révérence naturelle à son égard. Son corps porté par la grâce flotte parmi les siens, tout simplement elle danse et son pas ne trébuchera pas. Et pour couronner le tout, à la nuit tombée, une petite fête s’improvise en son honneur, autour des trois feux rituels, la joie du vivre ensemble, bat son plein, jusqu’à tard dans cette nuit d’hiver.
En Romanie, la prescience de la destinée, individuelle, collective, demeure une seconde nature. Tant de lectures de lignes de mains, assumées, par les yeux savants des veilles Gypsies, permettent par le recoupement de sages synthèses traditionnelles, la planification des rendez-vous d’avec le destin, surtout de ceux qui se signent de Miséricorde.
« Chacun demeure là où il doit être ! » se dit-elle.
Le lendemain, aux aurores, Juan accoure à sa rencontre. « Romni, Johanna un message de là-bas si j’y suis ! Pour toi » Il lui tend le portable.
-« Nous sommes intéressés par votre histoire, pouvons-nous convenir d’un rendez-vous ? Rappelez-nous à ce numéro »
Trois petits sauts en l’air, visage au comble de la joie et un cœur qui bat fort, en vue d’une telle perspective, la nièce de John est tout à son émoi. Un rendez-vous est donc pris, tout va très vite, c’est pour le lendemain ! Jamais le camp sous le pont de Clichy ne vécut une telle effervescence de l’attente, petits et grands à l’unisson soutenaient l’égérie du moment, tout en sachant que la nièce de John demeurait en odeur de sainteté, au sein de leur peuple en perdition, depuis son arrivée parmi eux, un soir où la lune était pleine de promesses heureuses….
