Ce n’était pas par peur que Lison Laferté avait remis à Sam les clés de son château. Elle manquait plutôt de confiance en elle et le soir, lorsqu’elle se trouvait seule, l’inquiétude l’assaillait.
La présence de Sam la rassurait. Il venait n’importe quand pour meubler ses moments de solitude. Ces irruptions imprévues la ravissaient. Bientôt, elle le savait, il ne partirait plus.
Sam était un nabot aux cheveux noirs et drus. Il était le fils de la vieille cuisinière, morte l’an dernier d’une fluxion de poitrine. Il était peut-être ignare, mais il était présent. Avec lui le château semblait moins grand, on s’y sentait moins étranger, moins perdu face à soi-même.
Un soir, pour la distraire, Sam se mit à danser. Il se maquilla l’œil, se masqua, esquissa trois pas de danse et enfin commença à tourner sur lui-même, bras ouverts, juste éclairé par la lumière rosoyante du feu qui crépitait dans l’âtre. Lison battait des mains à la folle idée de son compagnon.
Tout-à-coup, par la cheminée, surgit un corbeau aux allures macabres. Il se planta au beau milieu de la table après avoir un moment tournoyé, ses ailes gigantesques de crêpe noir largement déployées, brassant les airs au dessus de leurs deux têtes effarées. Le corbeau les considérait d’un œil torve et mauvais. Il était énorme, son bec menaçant claquait. Horrifiés, ni Lison ni Sam n’osaient le chasser de là. L’un après l’autre, l’oiseau funeste les fixait. Dans un long et lugubre croassement, il s’envola et disparut.
Ils restèrent un moment face à face, pétrifiés, interdits, ne sachant plus que dire. Un froid coupant raidissait jusqu’à leurs âmes. Dans l’âtre, un maigre feu s’était éteint et une lueur bleuâtre givrait l’espace. Une immense solitude les étreignit et une tristesse intense voila leurs yeux. Les dos s’arrondissaient, les paupières se courbaient sous les larmes qui se refusaient à couler des yeux exorbités. Ils se séparèrent, l’âme triste.
Depuis lors, chaque soir désormais, le corbeau les visite. Lison et Sam s’abîment plus avant dans la nostalgie et le chagrin. Imperceptiblement, ils s’éloignent l’un de l’autre. Comment finiront-ils ? Quelle sera leur vie ? La solitude s’incruste et dévore les murs lézardés. Le château se dégrade. Il est laissé à l’abandon. Les herbes folles l’envahissent. Les liserons sauvages l’étouffent. Etranglée de lierre, la demeure et ses habitants ne respirent plus qu’à peine. Ecartée du village, soumise à l’abandon, la maison douloureuse se laisse ronger par la lèpre insidieuse.