Les désaccords d’Evian – Suite n°1- Janine Martin Sacriste

24 mars 2011 – 7 :00 du matin – Réveil en fanfare

janine sacriste

_ Monsieur de Hillerin ! Monsieur de Hillerin ! Croasse un monstre vêtu de blanc, plus proche de l’épouvantail que de la créature humaine.

_ Pourquoi avez-vous dormi sur votre terrasse ? Mais vous êtes ivre, votre haleine empeste l’alcool.

_ Monsieur Martin, est-ce que les bagages de Monsieur de Hillerin ont été fouillés ? Votre client a bu j’en suis certaine.

Une armée de blancs « playmobil » fait son apparition et fouille consciencieusement la suite qui m’a été octroyée. Je ris intérieurement. Si quelqu’un trouve ma mallette… tiens j’lui offre un verre !!! Chou blanc ! Le monstre est désarçonné un instant.

_ Prise de sang immédiate, réclame-t-elle à tue-tête.

_ Pas la peine vieille piquée ! Ouais j’ai bu ! Le contenu de la flasque qui est dans la poche de mon manteau. Elle semble ravie de m’avoir maté… sinistre conne.

_ Allez, sous la douche, petit-déjeuner, courte promenade dans le parc et entretien avec le psychologue.

_ Gna, gna, gna, grognasse, c’est moi qui te paie !

_ Pas de ça avec moi Monsieur de Hillerin, je connais votre curriculum vitae !

Tout ce p’tit monde part en claquant la porte. Ouf ! Vite, salle de bain, vérifier que la plinthe sous le meuble qui soutient la vasque n’a pas été touchée ; non, le cheveu que j’ai coincé entre elle et le carrelage est toujours présent.

Je dois être plus vigilant, je ne peux pas être surpris une deuxième fois.

Douche, rasage de près avec le vieux coupe chou de mon père, eau de toilette.

Je m’habille comme pour me rendre au bureau. L’habit fait le moine. Je veux impressionner le

psychologue dès le premier regard qu’il posera sur moi ; ma rapide sortie de ce Centre en dépend.

Je me rends rapidement dans le jardin pour cueillir quelques violettes. Voilà qui fera de l’effet à la

boutonnière de mon veston.

Petit déjeuner pour indigent.

La rencontre avec le psy doit se passer dans un petit salon adjacent à la salle à manger. Je m’y

rends en sifflotant.

Un petit homme, court sur pattes, une barbe soignée et un regard d’aigle. Je le déteste instantanément. J’affiche un air méprisant qui semble le laisser indifférent.

_ Alors, Mr de Hillerin, puis-je vous appeler Fulbert ? Moi c’est Bernard.

_ Non, merci. D’où je viens, on ne tutoie pas et on utilise les prénoms que pour la proche famille.

_ Comme vous voudrez.

J’aurais dû accepter, j’ai commis une faute psychologique là ! Merde

24 mars – 15:00

Ce matin, je suis resté muet devant le psy. Je refuse de raconter ma vie à ce nabot prétentieux. Je me doute que cela ne va pas faire avancer mon départ de ce lieu sinistre.

Durant le déjeuner, une ravissante jeune femme, portant un superbe tailleur de couturier, s’est installée à la table à côté de la mienne et a entamé la conversation. Elle est venue volontairement à Evian, car pour égayer sa solitude, elle boit… un peu de tout, du vin, des cocktails, du Cognac, dans des quantités de plus en plus importantes et bla bla bla.

_ Et vous ? Me demande-t-elle.

_ Moi ? Je suis là en visite.

_ ???

Elle se lève. Elle a compris que sa tentative de me faire parler de moi est éventée. Alcoolique peut-

être, mais, pas stupide le Fulbert !

Une évidence s’impose à moi. Je dois retrouver cette rainette. Je veux revoir son regard particulier.

Je sors du Centre en catimini. Je n’ai pas vu de bassin à mon arrivée, il doit donc être dans les

jardins, derrière la bâtisse.

Il est là, effectivement, à une portée de flèche des fenêtres, après le potager.

Je m’accroupis derrière la haie de buis et je scrute l’eau, les nénuphars, les iris d’eau, les papyrus nains.

Ploc ! Ploc ! En deux sauts, elle est là, sur ma main. Elle me fixe avec ses beaux yeux noirs. Nous avions donc rendez-vous.

Je m’assois dans l’herbe, elle ne bronche pas. Je suis tellement ému par sa présence, que des larmes ruissellent sur mes joues. Le manque d’alcool sûrement.

Je commence à lui raconter mon enfance, mon adolescence, ma rencontre avec Marie-Catherine – arrangée par nos deux familles – mon travail qui m’absorbe complètement et me fait voyager sur tous les continents. La naissance d’Anne-Charlotte, malgré mon peu d’empressement dans le lit conjugal.

Mon addiction chronique à l’alcool. Ploc ! Ploc ! Elle vient se blottir dans mon cou. Je pleure à gros bouillons.

Je lui dis combien l’arrivée de cette minuscule petite fille a bouleversé ma vie ; pour la première fois j’aime de toute mon âme. J’espace mes voyages. Je bois moins. Je joue, enfin, comme l’enfant que je n’ai jamais été. Je lui invente des histoires. Je suis complètement sous son charme, au grand dam de Marie-Catherine, de la gouvernante et de toute la sainte famille. A-t-on jamais vu père plus ridicule que moi, me dit-on en permanence.

Les années passent rapidement. Anne-Charlotte à quinze ans. Elle est si belle, si douce, si grave dans ses expressions. Je suis, je crois, heureux et apaisé. L’alcool, n’est plus qu’un accessoire indispensable lors des dîners professionnels. Je commence à croire que la malédiction pressentie à l’adolescence ne s’abattra plus sur moi.

Hier, Mr Martin et ses « playmobil », très énervés, pour m’avoir cherché et trouvé, vautré dans l’herbe du parc, m’ont enfermé.

J’ai fait une razzia sur mes mignonnettes de Cognac, ces cons n’imaginent pas le plaisir qu’ils m’ont fait en me consignant dans ma chambre… une nuit de repos.

Demain matin, je retrouverai ma rainette, je lui dois la fin de mon histoire. Celle qui m’a menée jusqu’à elle. J’ai laissé les volets ouverts pour être réveillé par le lever du jour.

Je m’entends ronfler, je me sens presque comme avant.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s