Pascal Depresle -Un jeudi, jour de pluie.

Tu l’as pas vu venir ce moment. Ce moment où tu te poses des questions qui restent sans réponse, ce moment ou les réponses que tu crois avoir n’ont même plus de questions qui leur correspondent.
Non, ça t’as pris là, d’un coup.
Sortie d’autoroute.
Un jeudi.
Jour de pluie.
L’automne en folie qui détruit tes illusions derrière un sourire de femme.
Jour de pluie.
Pourtant, tu t’étais habitué. Déjà tout petit t’avais dit bonjour et au revoir à la dame, merci au monsieur. T’avais appris à moucher ton nez, ou à faire semblant, n’est pas Zorro qui peut, et s’il t’arrivait de t’en mettre plus sur les doigts que dans la cape, c’était pas par mauvaise volonté.
Puis t’avais appris à dire oui, à pas vexer. A « vous n’y pensez-pas » ou « tu n’y penses pas », alors que tu y pensais jour et nuit, que ce soit enfant, ado, amoureux ou en face de ton boss, de ton chef, tu répondais « non, non » en regardant tes pompes pas toutes fraîches et tes chaussettes parfois douteuses. Bien sûr que si tu y pensais, de tout ton être, mais tu auras toujours opposé à cette remarque un air presque aussi con qu’un masochiste à la recherche d’un tube de Juvamine pour lui donner un coup de fouet.
Sortie d’autoroute, un jeudi.
Jour de pluie.
Devant toi le destin, ton destin.
Putain de vie, voilà qu’à la trentaine, la quarantaine, la cinquantaine, on te demande de faire un choix, gauche ou droite, devant ou retour. Mais merde, toi, t’as jamais choisi, t’as toujours dit oui, t’as toujours suivi. Le coup de fil à un ami ? Ça marche qu’à la télé, sur la chaîne du bâtisseur de néant. Et puis t’as pas de réseau. Comme en amitié ou au boulot, t’as jamais eu de réseau, juste des modèles, panurgisme en étendard de ta bonne intégration dans la société moderne.
Certes, t’as eu des ami(e)s, mais toi, toujours silencieux, tu les voyais partir vers d’autres, parce qu’en amitié comme en amour t’as jamais réellement su qu’il est tellement plus jouissif de voler que de partager. « Venez me chercher », aurais-tu envie de crier. Mais ici personne, te voilà seul face à ton destin, seul face à tes peurs, seul face à ta vie. Et puis qui viendrait te chercher ? Parce que non, tu l’as pas vu venir, pas plus que t’avais vu venir le jour ou partiraient femme et enfants, tout ça parce que t’avais pas pu choisir …. ben finalement, tu vois, c’est pas la première fois que ça t’arrive. Si tu y réfléchis bien, ça t’est même arrivé un paquet de fois. Juste la conclusion, juste la fin, qui reste la même : tu as laissé faire. Tu laisses faire. Et tu laisseras encore faire aussi longtemps que ton souffle le permettra, malgré la rage qui te noue l’estomac, malgré le bide qui te tord de douleur jusqu’aux couilles que tu aimerais montrer un peu plus fort, un peu plus souvent.
Mais non.
Dans les journaux, on t’appelle la majorité silencieuse, sur les réseaux sociaux tu y vas d’un « like » quand tu aimes vraiment, comme quand tu te caches pour faire l’aumône au clodo de ton quartier. Et quand t’es pas d’accord avec ce que tu vois, ce que tu lis, ce que tu entends, tu prends clairement position : celle de ne jamais t’en mêler. Autruche des temps modernes, même s’il n’y à pas de sable autour tu préfères te péter la gueule sur le bitume pour faire semblant d’y faire ton trou, quitte à te relever la gueule défoncée par ton propre silence, et les vertèbres tordues d’avoir trop voulu tourner la tête. C’est pas pour rien que tu écris « humanité » avec deux « m », parce que même ça tu sais pas le dire, Si les gens savaient que dans toutes les « hummmmanités » que tu distilles il y a le poids de tous les j' »m » que tu n’a pas su dire. A ceux qui sont partis, à ceux qui sont restés.
Aller de l’avant, tout changer, revenir en arrière, tout changer aussi. L’heure du choix, droite ou gauche, comme un mauvais jeu politique, mais là, c’est toi qui votes pour les vingt ans qui viennent. Assis au volant de ton isoloir cracheur de particules, tu chiales. Tu chiales comme un môme de treize berges qui viendrait de perdre son père, comme un gosse de vingt piges qui viendrait de perdre sa mémé, comme un mec de trente piges qui viendrait de perdre ses mômes, parce que tu sais pas, parce que t’as jamais su et que t’es là, plus con qu’une bouée de sauvetage en plein désert de sable, seul, à devoir choisir ton chemin.
À gauche on rembobine et on repart, à droite on efface tout et on repart.
Lentement ta main bouge le levier de vitesse. Première, deuxième …. Tout droit, comme d’habitude. Pas un regard sur les côtés. Les larmes me montent aux yeux, ma main tendue pèse soudain le poids de toutes tes illusions mortes. Longtemps je verrai tes feux arrière s’enfoncer dans le chemin de tes habitudes, dans la nuit de tes rêves oubliés.
Sortie d’autoroute, un jeudi.
Automne en folie.
Jour de pluie.

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