-Pourquoi rougis-u, goutte de sang ? Demanda la goutte de pluie. Rougis-tu de honte, de colère, de timidité ?
-Si je rougis, transparente et dérisoire goutte de pluie, c’est de fierté. Je rougis, car je porte la vie, comme la femme l’enfant. Je suis une goutte du sang des anacondas, des crapauds, des éléphants, des guépards, des colibris. Des hommes.
Je suis une goutte de tout ce qui rampe, saute, marche, court vole pense.je suis une goutte de tout ce qui vit.
-Tu n’es guère modeste, goutte de sang. La goutte de sève se prend moins au sérieux, elle qui irrigue les arbres de son sang silencieux. Toi et tes soeurs, on vous entend couler à gros bouillon quand les hommes jouent à la guerre et du clairon.
– Et toi, tu te prends pour qui, transparente et dérisoire goutte de pluie ? Tu te prends pour qui, bon sang ? S’enquit la goutte de sang.
-Mes milliards de milliards de milliards de copines à moi, nous créons les ruisseaux, les rivières, les fleuves, les mers, les océans. Nous créons les nuages que célèbre le poète, et l’arc-en-ciel sur lequel les anges font du toboggan. Toi, goutte de sang, tu mourras un jour comme tout ce qui vit, et lorsque tu meurs, tu te figes, et pouah !… Tu noircis. Moi, je m’évapore, car j’ignore la mort. Je m’évapore pour renaître tout le temps, prétentieuse goutte de sang.
-Tes nuages sont souvent gris et gros de malheur et ton fameux arc-en-ciel n’a que sept couleurs ! Tes anges et leur Bon Dieu manquent d’imagination !
Goutte de sang contre goutte de pluie,
Goutte de pluie contre goutte de sang,
La querelle dura longtemps, longtemps…
*
Mais une autre goutte vint réconcilier les ennemies
Goutte de pluie goutte de sang
Goutte de sang goutte de pluie
*
Une autre goutte vint, salée comme le sang.
Transparente et dérisoire aussi
Une larme d’homme en sang
En sang seul sous la pluie.
