Littérature amusante – Comment Candide fut chassé à coups de pieds au derrière du château de Thunder-ten-tronckh

Dans Candide ou l’optimisme, Voltaire s’oppose à la thèse de Leibniz, selon laquelle, si Dieu est parfait, le monde ne peut pas l’être, mais Dieu l’a créé le meilleur possible. Il critique avec virulence cet optimisme béat et lui préfère une version lucide du monde et une confiance en l’Homme, seul capable d’améliorer sa propre condition.

Ce conte philosophique a été publié en 1759 et fut réédité vingt fois du vivant de son auteur.

Deux événements majeurs ont probablement conduit Voltaire à écrire ce texte : le tremblement de terre de Lisbonne le 1er novembre 1755 et le début de la guerre de Sept Ans en 1756, qui lui font affirmer : « Presque toute l’histoire est une suite d’atrocités inutiles » (Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, 1756).

Cette triste constatation ne l’empêche pas de manier l’humour et l’ironie. Je vous propose un extrait du Chapitre Premier, intitulé : Comment Candide fut élevé dans un beau château, et comment il fut chassé d’icelui.

Un jour Cunégonde en se promenant auprès du château, dans le petit bois qu’on appelait parc, vit entre des broussailles le docteur Pangloss qui donnait une leçon de physique expérimentale à la femme de chambre de sa mère, petite brune très jolie et très docile. Comme Mlle Cunégonde avait beaucoup de dispositions pour les sciences, elle observa, sans souffler, les expériences réitérées dont elle fut témoin ; elle vit clairement la raison suffisante du docteur, les effets et les causes, et s’en retourna tout agitée, toute pensive, toute remplie du désir d’être savante, songeant qu’elle pourrait bien être la raison suffisante du jeune Candide, qui pouvait aussi être la sienne.

Elle rencontra Candide en revenant au château, et rougit : Candide rougit aussi. Elle lui dit bonjour d’une voix entrecoupée, et Candide lui parla sans savoir ce qu’il disait. Le lendemain, après le dîner, comme on sortait de table, Cunégonde et Candide se trouvèrent derrière un paravent ; Cunégonde laissa tomber son mouchoir, Candide le ramassa, elle lui prit innocemment la main, le jeune homme baisa innocemment la main de la jeune demoiselle avec une vivacité, une sensibilité, une grâce toute particulière ; leurs bouches se rencontrèrent, leurs yeux s’enflammèrent, leurs genoux tremblèrent, leurs mains s’égarèrent. M. le baron de Thunder-ten-tronckh passa auprès du paravent, et voyant cette cause et cet effet, chassa Candide du château à grands coups de pied dans le derrière ; Cunégonde s’évanouit ; elle fut souffletée par Mme la baronne dès qu’elle fut revenue à elle-même ; et tout fut consterné dans le plus beau et le plus agréable des châteaux possible.

Grégory Ladret

Sources :

Wikipedia, Voltaire, Romans et contes – Éditions Flammarion – Collection GF – 1966

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