La nouvelle eau et autres nouvelles – Valérie Jacq

Valérie Jacq vit en Inde lorsqu’elle écrit ces nouvelles…Comme elle le dit même si l’Inde est tout sauf un pays ennuyeux il lui arrivait malgré tout , de s’ennuyer d’où l’idée d’écrire pour passer le temps. Valérie Jacq nous entraine avec ces nouvelles jusqu’aux frontières de l’irrationnel où les certitudes tombent une à une, à travers des histoires ludiques, tristes ou magiques… Ecoutez là elle nous raconte…

Vous pouvez vous procurer le recueil de nouvelles de Valérie Jacq directement sur le site des Editions de L’Harmattan ( collection Amarante ) ( Éditions L’Harmattan – livres, ebooks (édition numérique) (editions-harmattan.fr)…A l’approche des fêtes un cadeau qui assurément ouvrira des horizons nouveaux.

Valérie Jacq offre aux lecteurs (trices ) du dix vins blog la lecture d’une de ses nouvelles que j’ai choisi parmi les onze qui composent son recueil… J’ai choisi Varasani autrefois Bénarès une des plus vieilles villes du monde toujours habitée…Une ville magique, étrange de vie, de mort, de rites…Varasani sur les rives du Gange, le rituel de la mort et de la vie … Varasani ses mendiants, ses touristes toutes ses âmes en quête d’un  » je ne sais quoi  » que peut etre elles ne trouveront jamais, peut importe…et au milieu cette femme étrangère perdue et attirée par une force qui la submerge et l’entraine vers un inconnu dont elle ne peut s’arracher…Varasani un voyage aux portes de la mort et de la vie … VARASANI …passer de l’autre côté…Varasani merci.

Varanasi


Varanasi s’étire au bord du Gange, large ruban d’eau étalé entre la vie et la mort.
Dès cinq heures du matin, on y voit comme en plein jour. Pourtant, le soleil est absent, toujours au royaume des défunts où il se repose, s’obscurcit puis s’éteint pour prendre une couleur cendre, celle des corps qui brûlent.
À l’aube, d’un geste las, fatigué des démons nocturnes, il étend ses rayons, s’ébroue et reprend peu à
peu des forces. Quand il apparaît dans le ciel de Varanasi, il est encore bien pâle, émergeant des ombres
funèbres dont il porte encore les informes stigmates grises.
Les hommes déjà sont levés, les barques lancent leurs sillons sur le fleuve impeccable. Là, sur les berges, les gestes mille fois répétés, les mots mille fois prononcés et entendus, les flux et reflux le long des quais, initient la même journée depuis des siècles, identique et fourmillante, tendant son image immuable au-delà du fleuve, là où personne ne les voit et où tout les réfléchit.
Car les âmes de Varanasi reluquent déjà de l’autre côté, celui de leur repos ou de leur perdition, celui de la
séparation et des retrouvailles éternelles.
Tout passera par le feu, tout sera brûlé, le soleil darde à présent ses rayons, fier et triomphant, calcine le bois des bûchers, assèche les gosiers, chauffe les crânes.

Plus une ombre. La nuit n’est qu’un lointain passé, inexistant, et seul le Gange offre aux hommes la fraîcheur de son eau trouble. On s’y agglutine. Plus près, dedans, au plus profond. On s’asperge, s’éclabousse, s’immerge. Une once de mort est présente en lui, fidèle et impassible, sale, odorante, cadavre qui pourrit, doucement.
Sur le ghât Assi, large et accueillant, Premila guette. Une gamine d’à peine 10 ans qui vend aux touristes les coupelles de fleurs coupées qu’ils déposeront sur le Gange à l’appui de leurs prières. Elle est très noire de peau et de prunelles, son regard est décidé, sa voix porte loin, elle harangue les Blancs à sacoche et bermuda, d’un ton agressif et d’un regard flambant, pour les contraindre à donner quelques roupies contre une offrande divine. Justement, en voilà une, le pas hésitant, elle approche du cours d’eau et, un instant, Premila croit qu’elle va y entrer, tout habillée, comme une somnambule marchant droit devant elle, aveugle. Premila l’attrape par le bras et lui tend ses coupelles :
« 20 roupies, Madame ! Achetez, ça porte bonheur ! ».
La femme sursaute et regarde la petite fille sans comprendre. La touriste a le teint buriné par le soleil et
grené d’innombrables taches de rousseur, ses cheveux sont sévèrement tirés en arrière. Pas trace de coquetterie ni dans ses habits, ni dans ses manières. Elle est arrivée à Varanasi quelques jours auparavant et y erre depuis, dans un brouillard onirique qui la renvoie vers son enfance, ses morts, naturellement. Elle tend les 20 roupies à la fillette et reprend son chemin à la rencontre d’elle-même.
Allongé à l’ombre rare d’un auvent installé par un vendeur de thé, un sâdhu rêve. Il quittera bientôt
Varanasi vers un lieu plus frais et profite des derniers moments dans la ville des morts, chez lui.

La plupart des touristes sont partis, l’atmosphère est à la torpeur, chacun compte ses sous et se prépare à se rouler en boule pour l’été. La même touriste approche d’un pas fantomatique, s’assoit sur les marches sous le maigre halo d’ombre et commande un thé. Son regard porte au loin, sur l’autre rive, elle ne semble rien voir de ce qui l’entoure. Le sâdhu se redresse et l’observe siroter son thé par infimes gorgées et revenir peu à peu parmi eux.
Il sait l’effet que fait Varanasi sur les étrangers, cette perte de repère, cette impression de toucher au sacré, au plus près, et de s’y consumer. Les habitants de Varanasi se moquent d’eux avec un vague sentiment de pitié pour les humains étrangers au lieu où tout se passe, où au delà et ici-bas se frôlent et se côtoient.
« Ma ville n’est pas une ville, dit le vendeur de thé, accroupi près du foyer. Elle est un passage, un jeu
d’ombre et de lumière, on y vient pour renoncer à tout ce qui fait la sève des autres cités. Elle n’est pas un
refuge, elle n’est pas une maison, elle ne protègera pas, elle est tremplin vers le néant, obscurité illuminée du désir de ne pas être. Personne ne s’y rencontrera bien qu’elle soit l’essence de la rencontre, la rencontre
absolue, celle de la vie et de la mort. »
Sunita, une Indienne laide comme la gangrène, la peau cloquée, les dents noircies de traviole, les yeux
exorbités, aborde la femme blanche pour lui vendre quelque poudre de perlimpinpin. Gris, rouge, vert,
bleu…, les couleurs oppressent l’Européenne dont on Ne saurait deviner l’âge. Entre deux âges…
Insignifiante… Le sâdhu, dans un geste de compassion pour la femme blanche, chasse la colporteuse qui
l’insulte copieusement en retour.
La touriste reprend son chemin à la rencontre d’elle6même. Passe par la place principale, ignore les Indiens qui l’abordent : « Where are you from ? ». Puis la chaleur se fait intense, insoutenable : elle est à la station principale de crémation des corps. Plusieurs bûchers se jouxtent entourés d’hommes silencieux. Les cadavres recouverts de linceuls colorés se consument lentement, marquant calmement la fin de ce qui ne fut pas grand chose. Un destin pour un autre. Bientôt, ils seront de l’autre côté, sur la rive qu’on aperçoit au loin, calme, sablonneuse.
La femme blanche avance sans rien voir, ressentant seulement l’extrême chaleur ambiante. Elle se dirige
vers le feu, les Indiens la regardent sans oser intervenir, elle bascule et tombe dans les flammes. Ce n’est pas douloureux, non, moins que l’absurde. Elle passe enfin de l’autre côté. Le soleil lui aussi a rejoint les ombres, la nuit est là, offrant son décor à la beauté des flammes,
des lumières, les cœurs se réjouissent, les ombres dansent avec les Dieux, merci, Varanasi

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