Quatre-vingts montures d’acier investirent tour à tour la place Carnot, l’après-midi du lundi 15 février. Dix fois plus nombreux que les Cavaliers de l’Apocalypse, leurs pilotes se précipitaient au stand pour la vérification des machines…après le jeu de la mort et du hasard.
Non, ce sport ne comportait rien de très dangereux, corrigeait d’avance un organisateur du Paris-Nice motocycliste. « Bien des clients nouveaux viendraient à la motocyclette s’ils n’avaient conservé – de par le passé – une fâcheuse impression d’insécurité ». Une opinion, précisément, que la course voulait combattre. Et Mlle Ginnett en apportait la preuve. Le temps de retirer son casque, elle quitta son cyclecar 1100 cm3, et montra le visage radieux d’une amazone qui caracole. Tel n’était pas le cas, juste vingt ans plus tôt, pour une autre sportswoman éprise de prouesses…
L’auto-bolide

Mauricia de Thiers, de son vrai nom Anna Bêtant, était née dans cette cité d’Auvergne. Jolie brune au regard étincelant, elle épousa de bonne heure un garçon de café, qui la conduisit à La Restauration de Royat. Le chanteur Polin n’aurait pu s’inspirer d’elle pour sa « caissière du grand café », puisqu’elle partit aussitôt pour Paris. Un ingénieur italien lui présenta son « auto-bolide », qui décrivait un S, en partie dans le vide. Des lapins puis des chiens y furent tués sous la violence du choc, malgré des modifications. Des moutons, enfin, résistèrent. Docile à leur façon, Mauricia allait désormais s’installer dans la voiture.
Dès lors la fortune et la gloire lui fixèrent chaque fois rendez-vous. D’abord aux Folies-Bergère, et puis chez Rancy à Lyon, Barnum à New-York, Philadelphie ensuite, avant Berlin et Bruxelles. Sa loge croulait sous les fleurs de riches admirateurs. Partout le public tressaillait, lorsque « l’auto-bolidiste », après avoir glissé sur les rails, se retrouvait la tête en bas, dans la boucle du J, avant de retomber sur une seconde piste en sens inverse, plancher sans rails qui la conduisait au sol. Une fois, les cordes s’étant rompues, elle avait terminé sa course dans les loges. Mais le pire restait à venir…Ce serait à Lisbonne. Elle vit, lors des essais, le mannequin qui la remplaçait, faire voler en éclats la piste de réception. Par endroits, des boulons manquaient. « Je vais à la mort », dit-elle dans un souffle.
La sœur de Mauricia habitait Saint-Etienne. Et Raoul Défarge, son beau-frère, garçon d’un café près la place de l’hôtel-de-ville, reçut une lettre de son impresario. « La voiture s’est partagée dans les airs en deux morceaux. Le châssis et les quatre roues ont filé d’un côté, Mme Mauricia est restée attachée à la carcasse et elle est tombée avec elle. Malgré ses souffrances, elle se fit apporter sur la scène du cirque. Le roi Carlos se mit à applaudir. Les spectateurs firent relever six fois le rideau. Nous pensons que Mme Mauricia pourra se rendre à Saint-Etienne dans une quinzaine de jours ».
En fait il n’en fut rien. La voltigeuse mettrait plusieurs mois à se remettre de ses terribles fractures. Quant à sa carrière internationale, elle resta brisée à jamais…