Il y avait, en ce temps-là, un homme étrange à qui de mauvaises fées n’avaient point fait entendre au berceau cette fatidique parole : « tu seras sous-secrétaire d’Etat. » il était Emile Reymond est jugeait cela suffisant « ( Georges Clémenceau ).

Le Tigre, au-delà de son esprit mordant, s’y connaissait en matière d’honnêteté : il définissait ainsi en quelques mots celui qui « de servir « avait fait sa devise.
Emile Reymond, né à Tarbes en 1865, vécut bientôt à Montbrison, où son père fut élu, député d’une jeune République, longtemps avant de l‘être au Sénat. L’éducation reçue, toute patriotique, l’entraîna dans une fugue, à l’âge de cinq ans…pour combattre les Prussiens.
Ce tempérament forgé sur l’enclume de l’honneur et du danger saurait guider sa vie. En 1905, il remplaça au Palais du Luxembourg son père, qui venait de mourir. Devenu le benjamin du Sénat, il y fut nommé président de la commission Aéronautique Militaire, dont il se posait en farouche défenseur. Le 31 mars 1910, son interpellation au ministre de la Guerre fit apprécier sa compétence par l’ensemble de ses pairs : depuis les dirigeables avec leurs accessoires, leurs hangars, leurs modes de propulsion et qualité d’offensive, jusqu’aux aéroplanes, y compris le personnel, l’organisation et les crédits alloués….Emile Reymond ne laissa aucune de ces questions dans l’ombre.
Le jour même, la justesse de son réquisitoire entrainaît derrière lui l’assemblée tout entière, au point qu’il pouvait faire tomber le ministère sur les insuffisances de l’appui aérien. Il préférait exhorter le pouvoir à prévoir l’indispensable : des avions de reconnaissance et d’autres de réglage pour l’artillerie, la liaison avec l’arrière et la télégraphie sans fil…
Dépourvue de toute arrière-pensée personnelle, son action politique visait seulement la sécurité du pays. Conscient qu’une aussi grave question ne serait pas résolue à coups d’hypothèses hasardeuses, il essayait deux semaines plus tard le dirigeable « Ville de Pau « et il visitait l’école Blériot, accompagné de Blériot lui-même, qui tenait à lui montrer le fonctionnement de ses appareils. Le sénateur voulut en acquérir un, avec lequel il fit quelques essais avant de passer à Paris son brevet de pilote, le 25 août 1910.
Le petit Marseillais le publia dans ses colonnes, sur le ton de la dérision, en… vers et contre tout :
« Un sénateur de la Loire
Peut-être homme de bureau
S’est, dit-on, payé la gloire
De monter en aéro.
Quel délicieux voyage
Si tout notre parlement
S’en allait sur un nuage,
Siéger singulièrement ! «
Le poème s’achevait par une pirouette, en guise de voltige :
« Mais quels dangers pour la terre,
Et que j’ai déjà conçus !
La chute du ministère
Nous retomberait dessus «
Or Emile Reymond n’avait pas l’intention de renverser autre chose que la statégie aérienne, quand s’amoncelleraient les nuages à l’horizon.
