Durant notre dernière année d’école primaire, une demi-journée par semaine était consacrée à l’orientation professionnelle. Pour cela, nous nous rendions à l’E.N.P Etienne Mimard, et par cycles de 5 semaines, on nous familiarisait avec différents métiers, censés orienter notre futur choix. J’ai ainsi fait connaissance avec cet établissement, où par la suite j’ai passé 5 années entre 13 et 18 ans. Durant toute cette période on nous distribuait gratuitement des fournitures scolaires chaque trimestre, avec une dotation plus importante pour la rentrée. Les élèves dont les parents disposaient de revenus modestes se voyaient attribuer des articles supplémentaires, tels que pied à coulisse ou boîte de compas.Ce n’est pas un hasard si cette école portait le nom du fondateur de Manufrance, puisqu’elle bénéficiait du legs Mimard.
L’histoire est connue, je vais brièvement la résumer. Etienne Mimard n’ayant pas d’héritier, avait décidé de léguer son entreprise à ses salariés. En 1937 une grève d’une centaine de jours, avec occupation d’usine, le fit changer d’avis. Il déchira son testament en public devant son personnel, en présence d’un huissier. De nouveaux bénéficiaires furent désignés et connus à sa mort, c’est-à-dire la ville de Saint-Etienne et l’école professionnelle, lui-même avait obtenu son diplôme dans un établissement similaire à Sens, sa ville natale. A la suite de ce geste, l’établissement scolaire et la rue où il était implanté furent baptisés de son patronyme. Autrefois nous étions rue Fontainebleau. Par son legs il précisait ses souhaits :
« il faut que cette école devienne un modèle du genre pour que ses élèves prennent des habitudes d’ordre et de propreté, pour que l’on donne au plus grand nombre une solide instruction technique et manuelle ».

Ce brillant entrepreneur avait un management bien particulier. Son bureau était disposé de telle sorte qu’il puisse surveiller l’ensemble de ses ateliers. Le pool de dactylos comptait 300 personnes. Elles avaient toutes été formées sur des claviers particuliers, rendant impossible une embauche ailleurs. On pourrait parler également des vélos dont les éléments comportaient des filetages spéciaux. Toute réparation ne pouvait être réalisée qu’avec des pièces du catalogue. Je suis certain que l’on n’aurait pas de peine à trouver d’autres exemples…
Je vais revenir maintenant à l’orientation professionnelle. L’horaire représentait un gros changement par rapport au rythme de l’école primaire. Nous n’avions jamais fait quatre heures d’un coup, avec une récréation symbolique au milieu. L’éloignement et le trajet qui en découlait, faisaient connaître un autre rapport avec le temps. J’habitais le quartier de Montaud, la Primaire de Vittone se trouvait à 150 m de mon domicile. Cette école occupait le bâtiment qui abritait l’ancienne mairie de Montaud, au temps où cette commune libre n’était pas rattachée à Saint-Etienne. Pour rejoindre la rue Etienne Mimard, il fallait prévoir une demi-heure de trajet en marchant vite. Nous avions bénéficié des conseils du grand frère d’un copain, que nous avions écouté avec respect et admiration. Saint-Etienne comptait à ce moment-là de nombreuses traboules. Il nous a montré le chemin, comme s’il nous accordait un privilège. Le premier passage secret était pris rue Rouget de Lisle, il nous conduisait en diagonale rue Roger Salengro, presque à l’angle de la rue Robert, pratiquement en vue de la place de L’attache aux Bœufs. Devant nous un portail semi-circulaire bleu symbolisait la Police. Lorsque j’étais encore plus jeune, il arborait un rouge vif, et abritait les pompiers. Plus tard le coin a été démoli, et les services fiscaux se sont établis dans un grand immeuble neuf. Ensuite, nous remontions la rue Michel Servet pour rejoindre la rue des Frères Chappe, et un couloir avec des escaliers nous amenait rue de La République. Nous la parcourions un moment, mais avant d’arriver au bout, une nouvelle traboule nous permettait l’accès direct au bout de la place Fourneyron. Face à nous, nous empruntions pour terminer notre trajet la rue Claude Lebois qui portait le nom du premier directeur de l’Ecole Professionnelle en 1882. Fiers de nous, nous arrivions à « La Prof ».
A suivre …
