Le coup de coeur de Pierre Thevenin : Fabienne EUSTRATIADES


Dire que je croyais connaître le meilleur de la chanson française alors que Fabienne Eustratiades n’était même pas un nom pour moi! Grâce soit rendue à Gérard Gorsse dont je vous invite, toutes affaires cessantes, à visiter le site « Chanson rebelle ». Sans lui, comment aurais-je découvert l’existence de cette artiste lyonnaise (et de quelques autres dont je compte vous entretenir bientôt) ?

Lorsque vous êtes sur le site, vous cliquez sur « les chanteurs ». De Fabienne comme de tous les autres, on peut entendre quelques extraits bien choisis. Allez-y et, d’emblée, vous serez saisis par cette voix sensuelle en diable qui s’étire en vibratos somptueux. A moins d’êtrre des traders endurcis (et encore!), vous n’y échapperez pas.

Fabienne, c’est plus qu’une invitation au voyage, c’est un embarquement immédiat pour l’éther et ses rêves étoilés.

Avec elle, on est dans la magie jusqu’au plus profond des sens. Elle vous emmène d’un continent à l’autre, égrenant en perles délicates son amour des choses et des êtres :

« J’aime écrire en baisers

Sur des corps imparfaits

De tendres poésies

Des chemins vers le rêve

Des mots en arrondis

Et de tendres voyelles

Et dessiner des ailes

A ton coeur fatigué »

(« J’aime écrire en baisers »)

Il est difficile, dans le cas de Fabienne, de ne pas citer des couplets entiers, tant ceux-ci procèdent d’un même élan.

« Je rentre dans ma maison de rêve

Pour peindre en bleu tout mon ennui

Et ces ombres sur ma charpente

C’est à cause du soleil

Du soleil partout dans ma tête

Ma tête qui est un jardin

D’histoire sans fin »

(« A cause du soleil »)

Elle ne s’embarrasse que rarement de la rime.Les syllabes qui ondulent suffisent à suggérer les mouvements de l’âme.On pourrait, à lire ce qui précède, la croire béate. Qu’on ne s’y trompe pas :

J’ai souvent froid tu sais

Quand je pense à tout ça

A ce monde qui tourne

A l’envers du bonheur

A tout ce rouge sang

Qui incendie mes mots

Lorsque le cri jaillit

D’une gorge innocente »

(« J’ai souvent froid »)

Pas de la dernière ondée, elle sait parfaitement que le monde peut aussi être laid et cruel. Témoin l’hommage poignant rendu au commandant Massoud :

Il pleut des pétales de roses

Dans la vallée de tes sourires

Dans ce silence comme une pause

Tous tes amis pleurent et soupirent »

(« Massoud »)

et plus encore « Sniper », avec les couplets dits (ou plutôt martelés) et le refrain chanté comme une berceuse qui dérape à la fin vers le cri d’effroi, où la violence aveugle et gratuite se voit condamnée sans appel :

« Bête immonde humaine

Monstre inaccessible

Au cerveau gelé »

Autant de couplets de la même eau contrastant de façon pathétique avec le refrain :

« Un ballon dans le ciel

Et l’enfant tend les bras

Il s’invente des ailes

Et s’envole déjà

Quel est ce jeu cruel

Dans mon corps cet éclat

Un choc une étincelle

Maman, maman j’ai peur »

Et juste après « Sniper », sur l’album, pour appuyer encore son propos, ce tableau d’une enfance baignée de sérénité :

« Il est cinq heures

Tu dessines des fleurs

Devant ta porte ouverte

Et ton coeur est heureux

Tu dessines des fleurs »

(« Tu dessines des fleurs »)

Fabienne a deux CD à son actif (en fait, trois, mais le tout premier est malheureusement épuisé). Sur l’un, réalisé en 2001, elle signe ou cosigne nombre de musiques. Pour celui de 2005, elle a fait appel à des compositeurs, ce qui renouvelle la couleur mélodique. Ici des accents exotiques lorsque le texte s’y prête, là des musiques plus de chez nous. Mais toujours une subtile communion entre la voix, les poèmes et l’accompagnement.

L’alternance parlé-chanté déjà notée dans « Sniper » se retrouve « Dans les jardins de l’hôpital », une chanson un peu inattendue dans l’unvers de Fabienne, l’évocation d’un être luttant contre une mort manifestement naturelle, et que je m’en serais voulu de passer sous silence car elle m’a beaucoup touché :

« Dans le jardin de l’hôpital

Y a des fleurs qui mentent

Dans ma chambre tout est bancal

C’est long … »

Certes, après tout ce nous avons dit sur son rapport à l’existence, il serait malvenu, voire pervers , de conclure sur un moment aussi sombre.

Alors, va pour une dernière quête du bonheur, où l’on voit que la patience est aussi son fort :

« A force de mots

Je me fraie un chemin

Dans l’irréalité

Des heures qui s’éternisent

Je te cherche, je te cherche

Des yeux, des mains

De tout mon chant

Pour te rejoindre

J’ai tout mon temps »

(« J’ai tout mon temps »)

Il est regrettable, en tout cas, que les découvreurs soient devenus monnaie rarissime. On imagine aisément ce qu’un Jacques Canetti eût fait d’un pareil talent!

Contact :

Chansons buissonnières

102 chemin de l’Aigas

69160 TASSIN

fabienneeustratiades@free.fr

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